Chaque émission est diffusée le premier lundi du mois, de 9h15 à 9h45, et peut aussi être réécoutée sur ce site.
Vous pouvez également découvrir l'objet du mois en visite guidée au musée !
L’objet du mois de janvier 2025 : bannière de la Société des Agriculteurs d’Uzès
A quoi ça ressemble ?
C’est un drapeau en soie verte bordé de franges dorées, mesurant environ 1 m de haut sur 1 m de large. Le centre est occupé par une bande horizontale de soie blanche, portant un décor brodé des deux côtés. D’un côté il représente dans un écusson un homme portant un long vêtement noir, accompagné de deux enfants. De l’autre côté on reconnaît divers outils, arrangés en composition symétrique, entourés de branches de chêne.Qu’est-ce que ça représente ?
Le personnage avec les enfants est
Saint Vincent de Paul, un prêtre français né en 1581 et mort en
1660, canonisé en 1737 pour son engagement dans les œuvres de
charité. Il a créé plusieurs ordres religieux (Lazaristes, Filles
de la Charité) et fondé à Paris l’hôpital des Enfants Trouvés
pour accueillir les orphelins. C’est pour cela qu’on le
représente souvent comme un prêtre en soutane noire, accompagné de
petits orphelins.
De l’autre côté, les outils représentés sont ceux des agriculteurs : charrue, bêche, fourche, faucille, râteau, fléau, accompagnés très logiquement par des gerbes de blé.
A quoi ça servait ?
Notre objet est une bannière
d’association, comme le revendique l’inscription brodée en
lettres d’or : celle de la « Société des agriculteurs
d’Uzès, Gard, fondée en 1801 ». Elle s’inscrit dans le
système des corporations, hérité de l’Ancien régime. Avant la
Révolution, pour exercer une profession, en particulier dans
l’artisanat, il fallait avoir suivi un apprentissage auprès d’un
membre de la corporation (sanctionné, pour les artisans, par une
épreuve pratique finale, la réalisation d’un « chef-d’œuvre »)
et avoir été reçu dans cette corporation. Les corporations avaient
à la fois un rôle de formation professionnelle, de syndicat
défendant les intérêts de la profession, de « conseil de
l’Ordre » (contrôle du respect des règles) et de mutuelle
qui venait en aide aux membres malades ou à leur famille en cas de
décès.
En 1791, la Révolution supprima le
système des corporations, offrant la possibilité à chacun
d’exercer le métier de son choix. Sous la Restauration, le
rétablissement des corporations fut envisagé mais non réalisé,
cependant à cette période réapparurent des associations
professionnelles, sans réel pouvoir autre que le secours mutuel et
souvent placées sous l’invocation d’un saint catholique. Notre
Société des agriculteurs a été précurseur puisqu’elle est
apparue dès 1801.
Le Journal d’Uzès du 12
octobre 1929 signale qu’elle a été « fondée en Pluviôse,
an IX de la première République [donc en janvier ou février 1801],
elle est certainement une des plus vieilles corporations de France
encore existantes. Notre chère cité d’Uzès a vu maintes fois en
ces dernières années ses adhérents défiler dans les rues de la
ville, précédés de son vénérable drapeau vert. »
Créée sous la Première République,
la Société était-elle placée dès l’origine sous le patronage
d’un saint catholique ? Napoléon Bonaparte, premier consul,
venait de rétablir la liberté de culte… mais la liberté
d’association était étroitement contrôlée. L’objet de la
Société (soutien aux agriculteurs, majoritaires dans la population
à l’époque) était suffisamment consensuel pour permettre son
existence.
Au XXe siècle, les corporations seront
peu à peu remplacées par les syndicats et les mutuelles que nous
connaissons aujourd’hui. Mais la Société était encore active en
1929, puisque l’article du Journal d’Uzès cité plus haut
annonce une réunion de ses adhérents.
De quand ça date ?
Le style de cette bannière et les
broderies visiblement réalisées à la machine sont certainement
plutôt datables de la fin du XIXe siècle que de 1801. Il est
possible que le choix de Saint Vincent de Paul comme patron date lui
aussi de la fin du XIXe siècle, en effet le pape Léon XIII l’avait
institué patron de toutes les œuvres charitables en 1885.
Comment est-ce arrivé au musée ?
Comme pour beaucoup de collections
anciennes du musée, le mode d’entrée de cet objet reste inconnu.
La bannière a été un temps conservée dans la sacristie de
l’ancienne cathédrale d’Uzès, comme le mentionnent les
inventaires des biens de la paroisse établis par le Diocèse en 1905
puis par l’Etat en 1906. Le musée d’Uzès a été créé en
1910. A cette date la Société des agriculteurs d’Uzès était
encore active, on a vu qu’elle le restera au moins jusqu’en 1929.
Par la suite il est possible que la bannière ait été stockée dans
la mairie. Un registre d’inventaire du matériel de la commune
d’Uzès, établi vers 1942, recense trois drapeaux de sociétés
dans la salle des Drapeaux. Hélas il ne précise pas de quelles
sociétés il s’agit ! Le musée se trouvant alors dans
l’hôtel de ville, lorsque le conservateur Georges Borias a établi
un premier inventaire des collections en 1945, il a peut-être inclus
ces vieilles bannières. En tous cas quatre drapeaux de société
figurent dans les collections (celle des Maçons, des Charpentiers,
des Agriculteurs et des Boulangers), sans indication de provenance.
Du fait de la fragilité du tissu,
cette bannière n’est pas exposée en permanence.
L’objet du mois de décembre 2024 : photographie par Ulysse Dumas
A quoi ça ressemble ?
C'est une photographie en noir et blanc
montrant trois enfants, debout devant un mur : une fillette qui
tient d'une main des livres et un panier d'osier, de l'autre un
bouquet de fleurs, un garçon portant un sac à bretelles et un
béret, et un petit garçon vêtu d'une blouse à carreaux.
Comment est-ce arrivé au musée ?
Le négatif de cette photographie fait
partie d'un lot donné par Anita Dumas en 1980 : des négatifs
sur plaques de verre réalisés par son père Ulysse Dumas au début
du 20e siècle, ainsi que son appareil et son matériel
photographique. Des tirages
ont été réalisés à partir de ces négatifs par Catherine
Tauveron en 2009.
Qui l’a fait ?
Ulysse Dumas est né en 1872 dans une
famille aisée de propriétaires terriens à Baron, entre Uzès et
Alès. Il étudie au collège d’Uzès puis au lycée d’Alès,
avant de reprendre la ferme familiale après le décès de son père
en 1897. Parallèlement à son métier d’agriculteur, Ulysse Dumas
se passionne pour l’archéologie, présidant le petit Groupe
Spéléo-archéologique d'Uzès.
A la différence des autres
archéologues amateurs, Ulysse Dumas ne fouille pas juste pour se
constituer une collection, mais mène une véritable réflexion
scientifique qu’il communique dans des publications et transmet
aussi au Comité des Travaux Historiques du ministère de
l'Instruction Publique. Son travail est salué par les spécialistes,
mais sa santé est fragile et il décède en 1909 à seulement 36
ans.
Ulysse Dumas n'était pas seulement un
scientifique mais avait aussi une sensibilité artistique : il
écrivait de la poésie et pratiquait la photographie. Ce nouveau
média était encore réservé aux personnes disposant de bonnes
connaissances scientifiques et techniques et d’une certaine
aisance : les appareils étaient chers, peu maniables, il
fallait faire soi-même le développement en préparant ses produits.
De quand ça date ?
L'usage de la photographie s'est vite
répandu dans les milieux scientifiques, pour fournir des documents
d'une incomparable fiabilité. C'est Gabriel Carrière, conservateur
du musée archéologique de Nîmes, qui apprend la photographie à
Ulysse Dumas à la fin de l’année 1901 : il lui conseille un
appareil d'occasion et lui enseigne le développement des négatifs
et des tirages. Ces photographies ont donc été réalisées entre
1902 et 1907, avant que Dumas ne soit obligé de rester alité.
Qu'est-ce que ça représente ?
Parmi les négatifs transmis par sa
fille, les photographies scientifiques sont peu nombreuses, la
majorité sont des portraits de proches (famille, amis, voisins).
Elles sont toujours prises en plein air, souvent dans la cour de son
mas à Baron.
Leur intérêt tient au naturel des
modèles, au contraire des photographes professionnels de cette
époque (qui abusaient des mises en scène et des retouches). On y
sent la personnalité de Dumas, son regard plein de tendresse mais
sans tricherie.
Cette photographie montre trois enfants
(sans doute frères et sœur d'après leur ressemblance physique),
sur le chemin de l'école, comme l'indiquent les livres de la
fillette. La bourriche d'osier contient probablement le déjeuner des
enfants (à l'époque il n'y a pas de cantine scolaire), le bouquet
de primevères pourrait être un cadeau pour l'institutrice, à moins
qu'il ait été cueilli sur le chemin du retour pour leur mère. Le
plus jeune enfant, comme sa grande sœur, porte une blouse plissée,
boutonnée dans le dos (pour ne pas faire de taches d'encre sur ses
vêtements). Le garçon plus âgé porte une tenue qui évoque un
uniforme militaire (bérêt, veste à boutons métalliques).
Ils posent sans sourire : la prise
de vue est encore un rituel intimidant, avec un gros appareil qui
demande un long temps de pose immobile. Leur sérieux constraste avec
les chevelures décoiffées et les taches de rousseur qui révèlent
leur habitude du plein air.
Cette photographie est un document très
touchant sur la vie quotidienne des enfants de l'Uzège au début du
20e siècle.
L’objet du mois de novembre 2024 : masque Wé, Côte-d’Ivoire
A
quoi ça ressemble ?
C’est
un masque en bois aux formes anguleuses, en fort relief, peint de
couleurs vives (noir, blanc, rouge, bleu).
D’où
ça vient ?
Ce
masque provient de Côte d’Ivoire, il a été produit par le peuple
Wé (autrefois appelé Guéré), qui vit dans une zone de forêt
entre l’Ouest de la Côte d’Ivoire et le Libéria.
A
quoi ça servait ?
Les
masques Wé représentent un esprit protecteur, intermédiaire entre
les divinités et les humains. Notre masque a un aspect effrayant
avec des éléments empruntés aux animaux sauvages (cornes ou
oreilles pointues, langue tirée, crocs). C’est probablement un
« masque guerrier », il avait pour rôle de se mêler aux
combattants afin de les encourager, mais aussi d’imposer le
règlement des conflits internes au village.
Des
chants, danses et mouvements spécifiques étaient associés au
masque. Il faut aussi imaginer que le masque était complété par
des éléments qui ont disparu : on distingue des trous sur les
bords, qui devaient servir à maintenir des éléments évoquant une
chevelure (fibres végétales ou vrais cheveux), ou bien un tissu
permettant de recouvrir la tête. Le porteur du masque était
entièrement dissimulé grâce à des accessoires : une coiffe
de plumes et un costume volumineux (en général une jupe de fibres
végétales). Tout cela n’est hélas pas conservé : les
masques exposés dans les musées ne sont qu'une petite partie de
l'ensemble d'origine. De plus ils ont souvent perdu des éléments et
parfois même leurs couleurs, car les collectionneurs d’art
africain du 20e
siècle ont privilégié l’aspect esthétique des masques et enlevé
tout ce qui aurait pu gêner cette vision. Même quand ces éléments
n’étaient pas enlevés, leurs matériaux fragiles (fibres,
fourrure, plumes) ont souvent été détruits par le temps et les
insectes.
Comment
est-ce arrivé au musée ?
Dès
sa création au début du XXe siècle, le musée avait reçu en don
quelques objets africains. A
partir de 1946, le musée est dirigé par Georges Borias, artiste et
enseignant. La première exposition qu’il organise, en 1947, a pour
thème « L’Art exotique », notion « fourre-tout »
réunissant des œuvres d’Afrique de l’Ouest, de Madagascar, mais
aussi d’Inde, de Chine et du Viet-Nam, prêtées par des
collectionneurs privés. Le conservateur décide alors de développer
les collections du musée dans ce domaine de « l’ethnographie
d’outre-mer »,
liée à Uzès puisque la cité « a
fourni de nombreux cadres colonisateurs ».
Avec les années 1960 et la décolonisation, les acquisitions vont
peu à peu s’arrêter. Notre masque est un des derniers objets
africains acquis par Georges Borias, il a
été acheté en 1975 à un collectionneur privé.
Comment
c’était fabriqué et de quand ça date ?
Les
masques étaient réalisés par des personnes initiées, à partir du
bois d'arbres séléctionnés pour leur propriétés techniques et
symboliques. Le bois est taillé dans la masse, traditionnellement
peint avec des pigments naturels : noir de fumée, ocres ou
couleurs végétales pour le rouge, kaolin pour le blanc. Mais le
bleu vif a été obtenu à partir d'un matériau artificiel, le bleu
de lessive, aussi appelé « bleu Guimet » : des
boules de poudre bleu outremer servant à blanchir le linge,
inventées en 1826 par le chimiste lyonnais Jean-Baptiste Guimet, et
utilisées par les colons français. Cette couleur bleue intense,
très appréciée par les Africains, a été détournée pour peindre
les masques dès le 19e siècle. On en trouvait encore sur les
marchés africains au début des années 2000.
Notre
masque peut donc remonter au 19e siècle, il est en tous cas
antérieur à 1975 (date de son achat).
L’objet du mois d'octobre : « Portrait de Mgr Bauÿn »
A quoi ça ressemble ?
C’est un tableau
représentant un homme aux cheveux gris, portant un manteau bleu à rabat et une
croix autour du cou. Il est assis devant une table et tient un papier enroulé
sur lequel on distingue le dessin d’un bâtiment ; une bourse remplie de
pièces d’or est posée près de lui.
Comment est-ce arrivé au musée ?
Ce tableau fait
partie d’un ensemble de documents appartenant à l’hôpital d’Uzès, qui les a mis
en dépôt au musée en 1949 : plans anciens de l’hôpital, pots de pharmacie,
portraits…
Que représente le tableau ?
Comme l’indique
son costume, il représente un religieux : Bonaventure Bauÿn (1699-1779),
évêque d’Uzès de 1737 à 1779. C’est un évêque très actif qui fonde à Uzès une
école et fait reconstruire l’église Saint-Etienne, détruite pendant les guerres
de religion. C’est lui aussi qui décide d’agrandir l’hôpital.
L’Hôpital
d’Uzès existait sans doute dès le 13e siècle. Au 14e siècle, il occupe déjà son
emplacement actuel, en dehors des remparts de la ville, sur la route de Nîmes.
C’est une institution religieuse, comme tous les hôpitaux du Moyen-Age.
Longtemps gérée par des laïcs, à la suite des guerres de religion, elle passe
sous la tutelle de l’évêque à partir de 1661.
En
1746, Monseigneur Bauÿn décide de reconstruire l’hôpital, trop petit et vétuste :
il ne comprend qu’une petite chapelle et deux salles, et ne peut accueillir que
14 lits. Les travaux, confiés à l’architecte Guillaume Rollin, sont terminés en
1755. Le centre du bâtiment est occupé par une chapelle (ce qui montre bien
qu’il s’agit d’une institution religieuse avant tout). Le nombre de lits est
passé à 49. Les malades hommes et femmes sont séparés, logés d’un côté et de
l’autre de la chapelle. Des salles sont prévues pour la pharmacie et
l’infirmerie : les soins médicaux sont mieux organisés qu’au Moyen-Age. Des
pièces de service (cuisine, boulangerie, grenier, caves, buanderie) permettent
un fonctionnement en autonomie.
Sur le tableau
on reconnaît bien la façade de l’hôpital sur le papier que tient l’évêque, le
portrait rappelle donc son rôle dans la reconstruction, et indique clairement
sa contribution financière par la représentation de la bourse. Il faut savoir
que Bonaventure Bauÿn a financé sur ses fonds propres plus de la moitié du coût
des travaux, le reste provenant de dons et d’une taxe sur la viande de
boucherie.
On peut donc
imaginer que ce portrait a été peint pour lui rendre hommage. Autrefois il
était courant de conserver dans les hôpitaux les portraits des personnes qui
avaient contribué à ces institutions par des dons ou des legs (on les appelait
les « donatifs »). Monseigneur Bauÿn était un « donatif »
exemplaire puisqu’il a aussi choisi de léguer ses biens à l’hôpital après sa
mort en 1779
Qui l’a fabriqué et de quand ça
date ?
On ne le sait
pas : le tableau n’est ni signé ni daté. Mais il a sans doute été peint
pendant ou après la reconstruction de l’hôpital, donc autour des années 1750. Le
peintre n’a pas cherché à idéaliser son modèle, un petit homme maigre d’une
cinquantaine d’années, au visage ingrat avec son grand nez et ses lèvres
minces, mais éclairé par des yeux vifs, du même bleu que le mantelet de
velours. Cette austérité correspond à ce qu’on connaît de la personnalité de
Mgr Bauÿn, qui semblait peu soucieux de gloire et de pouvoir (il a refusé
d’être nommé évêque d’Auxerre puis archevêque de Besançon, pour faire toute sa
carrière à Uzès).
L’objet du mois de
septembre 2024 : « Bello Matinado »
par Félix Charpentier
A quoi ça ressemble ?
C’est une sculpture en plâtre, représentant une femme nue, grandeur nature, qui s’étire.
Qui l’a
fabriqué ?
La sculpture est une œuvre de Félix Charpentier (1858-1924).
Né à Bollène, Charpentier étudie la sculpture à l’école des Beaux-Arts à Paris.
Il devient un sculpteur apprécié, exposant chaque année au Salon des Artistes
Français, recevant de nombreuses commandes publiques : l’imposant monument
commémorant le centenaire de la réunion du Comtat Venaissin à la France
(Avignon, allées de l’Oule), le décor sculpté de la gare de Lyon à Paris, le
monument à Emile Jamais, à Aigues-Vives…
Qu’est-ce que ça
représente ?
Une jeune femme s’étire, elle vient de sortir du lit sur
lequel elle prend appui. Ce thème de la femme au réveil est fréquent dans la
sculpture du XIXe siècle. Mais finalement le sujet importe peu, c’est un
prétexte pour représenter un nu féminin voluptueux, sujet de prédilection de
l’artiste, typique de la Belle Epoque.
Le nu est apprécié mais l’évocation du lit surprend :
un critique décrit « une fille d’Eve, nue comme sa mère. Elle se grandit
en s’étirant : c’est le Matin
qui sort de son lit par la volonté de M. Félix Charpentier – et le peu que le
sculpteur a représenté du lit est trop précisé, gêne légèrement le goût. Mais
cette statue est le chef-d’œuvre de M. Félix Charpentier. La blancheur
immaculée du marbre fait resplendir la forme gracile, souple et nerveuse du
jeune corps et l’on remarque que M. Félix Charpentier a accordé au mieux
l’expression du visage à la volupté de l’attitude. »
De quand ça
date ?
Il y a plusieurs versions de cette œuvre, car comme tous les
sculpteurs du XIXe siècle, Charpentier travaille en plusieurs étapes. Il crée
d’abord un prototype en terre crue modelée. Ce matériau ne se conservant pas,
il en réalise un moulage en plâtre. A partir de ce premier moulage (ou plâtre
original), il pourra réaliser des versions en bronze, en marbre ou en plâtre.
Le plâtre original est exposé en 1907 au Salon des Artistes Français, puis
acheté par l’Etat et déposé au musée de Châteaudun. Une version en marbre est
également commandée en 1908 pour le musée d’Arras.
Comment est-ce arrivé
au musée ?
En 1909, le peintre José Belon décide de créer à Uzès un
musée de peinture et de sculpture (l’ancêtre du musée actuel), grâce aux œuvres
données par ses amis artistes. Belon est un Gardois installé à Paris, où il
fréquente d’autres méridionaux comme Charpentier, originaire du Vaucluse. Un
tableau de Belon (au musée des Beaux-Arts de Nîmes), intitulé « Portraits
de sculpteurs », représente d’ailleurs Charpentier parmi d’autres
sculpteurs, réunis pour l’exposition de leurs œuvres au Grand Palais lors du
Salon de 1908. En mars 1910, José Belon peut donc annoncer triomphalement dans
le Journal d’Uzès le don par Charpentier « d’un moulage grandeur nature de
sa Matinado, dont le succès au Salon
dernier fut considérable ».
Qu’est devenu l’objet ?
La statue est mentionnée parmi les œuvres envoyées pour
l’ouverture du musée d’Uzès en juillet 1910. A cette époque le musée est
installé dans plusieurs salles à l’étage de la mairie. Elle y est toujours en
1945, lorsque Georges Borias, alors jeune professeur de dessin, reprend la
direction du musée, quelque peu tombé dans l’abandon entre-temps. Borias l’inscrit
dans l’inventaire avec une attribution et un titre erronés (« L’Eveil »,
par Alix Marquet), preuve qu’à cette date la statue a perdu son cartel
d’identification. En 1958, Borias est muté à Paris et jusqu’à son retour à Uzès
en 1968, il ne peut s’occuper qu’à distance du musée, fermé par manque de
personnel. Dans les années 1970, la ville d’Uzès achète le bâtiment de l’ancien
évêché, le musée y est transféré et inauguré en 1978. Mais la statue semble
avoir disparu pendant la période de fermeture du musée entre 1958 et
1968 : à ce jour, elle n’a toujours pas été retrouvée. La pauvre Matinado
a sans doute été jugée trop encombrante et démodée, et un employé de mairie a
dû faire de la place sans en avertir le conservateur…
Si vous la retrouvez, prévenez-nous !
L’objet du
mois de juillet 2024 : « Portrait d’Adolphe
Alphand » par Alfred Roll
A quoi ça ressemble ?
Il s’agit d’un petit tableau carré. Il représente un homme à la barbe blanche, portant un chapeau haut-de-forme et un manteau noir, cadré en buste.
Qui l’a
fabriqué ?
La toile est signée en haut à gauche
« Roll » : il s’agit du peintre Alfred Roll (1846-1919). Elève
de Gérôme, Bonnat et Harpignies, il exposa au Salon des Artistes Français de
1870 à 1889 et au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1890 à 1919.
Roll navigua entre naturalisme et art officiel, réalisant avec autant de succès
des décors monumentaux (pour l’Hôtel de Ville de Paris, la Sorbonne, le Petit
Palais) que des scènes de la vie populaire. Ses nombreux portraits alternent
entre gens du peuple et célébrités parisiennes.
Comment est-ce arrivé
au musée ?
Lorsque le peintre José Belon décida en 1909 de créer un
musée à Uzès, il sollicita diverses personnalités pour soutenir son projet. En
tant que président et membre fondateur de la Société Nationale des Beaux-Arts,
Roll était un personnage influent, que Belon eut la fierté de compter parmi les
membres du Comité de patronage du musée... et parmi les donateurs ! En
effet c’est grâce aux dons d’artistes que furent constituées les collections du
musée.
Dans le Journal d’Uzès
du 3 juillet 1910, Belon annonça l’arrivée des premières œuvres : le
tableau de Roll figurait dans cet envoi.
Que représente le
tableau ?
Il représente une célébrité parisienne : Adolphe
Alphand (1817-1891), indispensable collaborateur du baron Haussmann, qui
transforma et modernisa Paris sous le Second Empire. Alphand fut d’abord chargé
de l’aménagement des espaces verts (en particulier le parc des Buttes
Chaumont). La chute de Napoléon III n’entrava pas sa carrière à la ville de
Paris, puisqu’à partir de 1871 il supervisa tous les chantiers publics de la
capitale. L’apogée de sa vie professionnelle fut la direction des travaux pour
l’Exposition Universelle de 1889, comprenant la construction de la tour conçue
par Gustave Eiffel.
De quand ça
date ?
Notre toile n’est pas datée mais c’est une étude
préparatoire pour un grand portrait d’Alphand, actuellement conservé au musée
du Petit Palais à Paris. Dans la version définitive, on voit l’ingénieur au
travail, tenant à la main une liasse de plans, sur un chantier de construction.
Le dôme des Invalides et la date de 1888 figurant sur ce grand portrait nous
indiquent qu’il s’agit certainement du chantier des travaux de l’Exposition
Universelle de 1889. Roll joue des contrastes entre la tenue sombre d’Alphand
et l’arrière-plan clair, entre l’attitude posée de l’ingénieur et l’agitation
des travaux. Il choisit de limiter sa palette au noir et aux nuances de gris,
pour concentrer l’attention sur la figure.
José Belon présente ainsi l’œuvre dans le Journal d’Uzès du 17 juillet 1910 :
« Le maître Roll nous offre la première étude du portrait d’Alphand,
l’ancien directeur des travaux de l’édilité parisienne, l’ingénieur réputé à
qui Paris doit la plus belle part de ses embellissements. Le portrait définitif
d’Alphand peint par Roll figure actuellement au Petit-Palais, à Paris ;
mais pour moi, cette première étude qui n’est qu’un fragment de l’œuvre
définitive, n’en a que plus de prix à mes yeux, car elle est le premier jet de
l’impression reçue, et par la spontanéité de la touche, cette toile nous donne
du talent de Roll la plus haute idée que l’on puisse s’en faire ; car le
grand artiste peint avec une vigueur peu commune et la matière colorante chez
lui ajoute, si l’on peut dire, à la vérité de ses portraits. Cette physionomie
d’Alphand par Roll est donc une des plus belles choses du Musée. »
L’objet du mois de juin 2024 : « Pierre de picote »
Qu’est-ce que c’est ?
C’est un galet poli en roche verte,
collé sur un support de bois avec deux éléments en bois taillé.
Comment est-ce arrivé
au musée ?
Cet objet fait partie d’un ensemble
d’objets (poteries, vestiges archéologiques, outils, documentation) collectés
par Marcel Duret, habitant d’Uzès passionné par le patrimoine local, et donnés
au musée par sa famille après son décès en 2014.
A quoi ça
servait ?
L’étiquette collée sur le support
de bois le précise : ce galet était une « pierre de picote »,
traditionnellement utilisée par les bergers pour protéger leurs troupeaux
contre la clavelée ou variole des moutons (« picoto » en occitan).
Cette roche basaltique à la couleur verte provient des Alpes et on en trouve
des galets dans le lit de la Durance et du Rhône. Elle porte des taches
caractéristiques, ressemblant aux pustules de la variole, d’où son nom
scientifique de « variolite ». Frappés par cette ressemblance, les
paysans ont y vu l’indice d’un pouvoir magique de protection contre la maladie.
Ils suspendaient des galets de variolite au cou des brebis ou en plongeaient
dans l’eau des abreuvoirs.
Les éléments en bois taillé qui
accompagnent notre pierre sont des clavettes : placées de chaque côté du
collier (en bois, en forme de U renversé), elles maintenaient la sangle en cuir
retenant la cloche. Ceci confirme l’inscription de l’étiquette, la pierre
devait être placée dans une sonnaille.
De quand ça
date ?
L’usage des variolites est sans
doute immémorial. Le Dr Marignan, archéologue et ethnologue, leur a consacré
une étude en 1908. Il remarque que les pierres de picote des bergers cévenols
provenaient de sites préhistoriques locaux plutôt que directement de la
Durance ; d’après lui, il est possible que dès le Néolithique on ait
utilisé les variolites comme protection contre les maladies.
Notre variolite a été collectée
avant 1914, probablement par Albert Hugues, auprès de M. Roussel, éleveur de
brebis à Saint-Geniès de Malgoirès. Albert Hugues (1876-1940), viticulteur à
Saint-Geniès de Malgoirès, était aussi un naturaliste avisé, membre de la
Société d’Etude des Sciences naturelles de Nîmes. Ami du paysan-poète Albert
Roux, de Sanilhac, il encouragea ce dernier dans la création d’un Muséon
Uzétien (ancêtre de l’actuel musée d’Uzès) sur le modèle du Muséon Arlaten
fondé par Frédéric Mistral. Ensemble, les deux amis lancèrent dans le Journal d’Uzès du 20 octobre 1912 cet
appel : « Que ceux qui
connaissent encore les légendes de leur village, […] que ceux qui connaissent
nos proverbes locaux, nos remèdes aux rites cabalistiques, ou aux préparations
alambiquées, que ceux-là apportent au Muséon, créé pour conserver sous toutes
ses formes l’âme vivante des ancêtres, le récit des traditions uzétiennes. Que
tous ceux-là apportent au Muséon les vieux objets, les vieilles histoires,
avant que le tout disparaisse pour toujours. » Anticipation étonnante
du concept de « patrimoine immatériel », actuellement au cœur de la
réflexion des musées d’ethnographie ! Si cette quête n’a pas laissé de
traces tangibles dans les collections du Muséon, elle a du moins abouti, deux
ans plus tard, à la publication par les deux amis du recueil Folklore dou parage d’Uzès (Malige,
Uzès, 1914).
Après la Première Guerre, Albert
Hugues, très affaibli, cessa ses recherches. Mais il avait transmis le goût de
la science à son fils Camille Hugues (1905-1986), professeur d’histoire et
éminent préhistorien. C’est Camille Hugues qui fit don de la variolite à M.
Duret en 1981. Son arrivée au musée, 34 ans plus tard, répare une lacune :
en effet, le Muséon Uzétien avait reçu une variolite, comme le signale le Petit Méridional du 20 octobre
1913 : « Don de M. Paul Verdier, de Masmolène, une pierre dite
« picoto », très caractérisée », mais celle-ci avait disparu
depuis...
L'objet du mois de mai 2024 : fontaine de table, fabrique Pichon
A quoi ça ressemble ?
C’est un grand vase avec un couvercle et un robinet sur la panse, posé sur un socle et complété par une vasque en losange. Il est en céramique de couleurs variées, formant comme les veines d’un marbre, et orné de fleurs en relief autour du col et d’un écusson sur la panse.
Qui
l'a fabriqué ?
La
poterie est un artisanat traditionnel des villages de l’Uzège,
grâce à la présence d’une argile abondante et de qualité. Mais
ce n’est qu’au 19e siècle que des potiers s’installent à Uzès
même : une famille de faïenciers marseillais, les Vernet, et
une famille uzétienne, les Pichon.
Contrairement aux Vernet qui n’ont
pas survécu aux années 1860, la fabrique Pichon, encore
actuellement en activité, a su se développer et s’adapter, en se
spécialisant dans la céramique d’ornement (vaisselle de luxe,
cadeaux de mariage, souvenirs pour touristes). Sept générations se
sont succédées depuis le fondateur de la fabrique au début du 19e
siècle, Jacques Pichon. C’est son fils François (1804-1877) qui
lance véritablement l’affaire, aidé par ses trois fils Jules,
Auguste et Alphonse. La fabrique est ensuite reprise par le fils
d’Auguste, Paul. Après ses descendants Henri puis Jean-Paul, c’est
aujourd'hui Christophe Pichon qui poursuit la tradition familiale
dans le nouvel atelier maintenant installé dans les locaux de
l'entreprise Athezza.
Comment c’est fabriqué ?
C’est
la technique appelée « terres mêlées » qui donne cet effet de
marbrures si particulier. Il est obtenu par le mélange, dans
l’épaisseur de la pâte, d’argiles de différentes teintes, à
ne pas confondre avec l’effet donné par des coulures d’engobes à
la surface d’une poterie.
Cette technique, pratiquée dès le
18e siècle à Apt (Vaucluse) mais également en Angleterre, est
reprise par François Pichon qui introduit de nouvelles couleurs. Aux
teintes naturelles des argiles blanche, rouge et brune, il ajoute le
vert (à l’oxyde de cuivre) et le bleu (au cobalt).
Les pièces en terres mêlées ne
sont généralement pas tournées (cela effacerait les marbrures),
mais moulées. Le potier mélange ses argiles colorées pour obtenir
un bloc qu’il découpe en tranches. Ce sont ces tranches qu’il
met en forme dans un moule en plâtre, comme une pâte à tarte dans
un moule. Après séchage la pièce est démoulée puis cuite au four
en deux fois, avec ajout d’un vernis transparent à la deuxième
cuisson.
A quoi ça servait ?
Ce vase est une fontaine de table :
un objet qui permettait de se laver les mains à une époque où
toutes les maisons n'avaient pas l'eau courante. La vasque sert à
recueillir l’eau. Le socle est équipé d'un petit tiroir qui peut
contenir un savon. Cependant la beauté de cette fontaine en faisait
un objet plus décoratif que vraiment fonctionnel.
Prouesses techniques par les
dimensions, le mélange des différentes teintes, l’abondance et le
raffinement du décor, les fontaines de la fabrique Pichon sont de
véritables chefs-d’œuvre. A ce jour, six modèles différents
sont connus : une fontaine réalisée pour le jubilé du pape
Léon XIII en 1888, une pour une famille alésienne, les de
Roux-Larcy, probablement à l’occasion d’un mariage en 1888, une
appartenant toujours à la famille Pichon (actuellement présentée
au musée), deux récemment passées dans des ventes aux enchères,
et notre fontaine. Si le décor est personnalisé aux armoiries du
commanditaire, la forme est toujours identique, en balustre, avec des
anses en anneaux surgissant de mufles de lions, un col bordé de
dentelures et entouré d’une rangée de fleurs. Jean-Paul Pichon
estimait le temps de travail nécessaire à la fabrication de ce
genre de pièce à 2000 heures… à cette époque, on ne comptait
pas son temps pour l’amour du beau métier !
Qui
l'a commandé ?
L'écusson
sur la fontaine porte les initiales JH, il est surmonté d'un chapeau
avec des cordons ornés de pompons. En héraldique, le chapeau
symbolise les ecclésiastiques, le nombre de pompons ou « houppes »
indique le niveau hiérarchique. Ici il y a trois houppes, il s'agit
donc d'un prieur ou d'un chanoine. Les initiales JH peuvent
correspondre au chanoine Jean Huc. Né à Nîmes en 1844, il est
ordonné prêtre en 1869. En 1893, il est nommé directeur de l'œuvre
de la Jeunesse de Nîmes (ou « Œuvre Argaud »). Il est
fait chanoine honoraire en 1900 et chanoine prébendé en 1909. Il
décède en 1919.
De quand ça date ?
Notre fontaine a peut-être été
offerte en cadeau au chanoine Huc pour sa nomination à la tête de
l'Œuvre Argaud en 1893. Cela correspondrait à la période de
fabriation des autres fontaines Pichon, dans les années 1880-1900,
bien que seule celle du pape Léon XIII soit datée avec certitude
(1888).
Comment
est-ce arrivé au musée ?
Cet
objet a été acheté par l’association des Amis du musée à un
collectionneur privé en 2014.
L’objet du mois d’avril 2024 : maquettes en liège de monuments antiques
A quoi ça ressemble ?
C’est un ensemble de trois maquettes
d’édifices, réunies dans une boîte vitrée. Il y a un édifice
sur plan carré formé d’arcades surmontées de colonnes, un pont à
trois niveaux d’arcades, et un fragment de façade avec des
colonnes supportant un fronton triangulaire.
Qu’est-ce que ça représente ?
Il s’agit de trois monuments romains
célèbres du midi de la France : le mausolée de Glanum à
Saint-Rémy de Provence, le Pont du Gard et un vestige du forum
romain d’Arles.
Le mausolée de Glanum était un
monument funéraire. Le Pont du Gard est un élément de l’aqueduc
long de 50 km qui amenait d’Uzès jusqu’à Nîmes l’eau de la
Fontaine d’Eure. Les colonnes et le fragment de fronton sont tout
ce qui subsiste en surface du forum, centre de la ville antique
d’Arles, ils sont englobés dans la façade d’un bâtiment
moderne.
Comment est-ce arrivé au musée ?
Cet objet a été donné en 1967 par
Mme Robert André, propriétaire du château de Saint-Privat, près
du Pont du Gard. Mme André était la fille de Jacques Rouché, qui
dirigea l’Opéra de Paris de 1913 à 1945, et qui acquit le château
en 1916.
Qui l’a réalisé et quand ?
Ces maquettes sont fabriquées en
liège. Cette technique est d’origine italienne, plus précisément
napolitaine. En effet les grandes crèches de Noël sont très
appréciées à Naples. Au XVIe siècle on a commencé à les
installer dans de véritables paysages miniatures, avec des arbres,
des rochers, mais aussi des ruines d’édifices antiques (un
environnement assez courant en Italie !). Pour ces modèles
réduits de constructions, on utilisait une matière première peu
coûteuse et facile à travailler : le liège, produit en
abondance autour de la Méditerranée. Par la suite, cette technique
est reprise à Rome, non plus pour meubler des crèches mais pour
réaliser des versions miniatures des édifices antiques de Rome.
Depuis le XVIe siècle, Rome attirait
les artistes, venus se former au contact des œuvres et des monuments
de l’Antiquité. A partir du XVIIIe siècle, des voyageurs fortunés
venus de toute l’Europe commencent à visiter Rome, c’est le
« Grand Tour », le début du tourisme. Les jeunes gens de
bonne famille viennent voir les vestiges de la culture romaine, dont
ils sont imprégnés par leur éducation (à cette époque, le latin
est la base de la plupart des enseignements, et l’art classique
reste la référence ultime). Beaucoup ramènent des souvenirs de ces
monuments : une gravure pour les plus modestes, un tableau ou
une maquette pour les plus riches... L’architecte anglais John
Soane en achète tout un ensemble, destiné à montrer à ses
étudiants de Londres des édifices qu’ils ne pourraient aller voir
sur place. L’architecte français Cassas fait de même, sa
collection sera achetée par l’Etat pour l’école des Beaux-Arts
de Paris.
Les maquettes en liège restent des
objets de luxe. A la fin du XVIIIe siècle plusieurs sculpteurs
italiens en font leur spécialité. Ils travaillent d’après des
gravures représentant les monuments antiques. Certains vont même
jusqu’à faire leurs propres relevés pour garantir l’exactitude
de leurs maquettes.
La phelloplastique (art de sculpter le
liège) trouve d’autres adeptes hors d’Italie, plus ou moins
sérieux. Si l’archéologue nîmois Auguste
Pelet réalise à partir de 1820 des maquettes des monuments antiques
de Nîmes (conservées au musée archéologique de Nîmes), c’est
dans un but scientifique, avec une précision qui fait encore
aujourd’hui l’admiration des spécialistes.
Mais pour d’autres, c’est une
production commerciale, fabriquée en série. C’est le cas d’un
fabricant marseillais, d’origine italienne ou grecque selon les
sources, Etienne ou Stéphane Stamati. Il démarre son activité
autour de 1790 et sa fabrique fonctionne encore à Marseille en 1810.
En 1808 il ouvre une antenne à Paris : un « cabinet de
phelloplastique » situé 14 rue Vivienne, dans lequel il
présente plus de 40 modèles différents, des monuments de Rome mais
aussi du Midi de la France. Un auteur signale toutefois que
« malheureusement il n’a pas fait dessiner ces monuments, et
plusieurs de ses modèles sont exécutés d’après les gravures de
Montfaucon, qui sont très inexactes » : il n’a pas fait
faire de relevés et travaille d’après les gravures assez
fantaisistes commandées au XVIIIe siècle par le bénédictin
Bernard de Montfaucon pour illustrer son ouvrage « L’Antiquité
expliquée et représentée en figures ».
Parmi les modèles vendus par Stamati,
figurent le mausolée de Saint-Rémy et le Pont du Gard. Nos trois
maquettes pourraient donc bien provenir de la fabrique de Stamati.
Leur manque d’exactitude, évident quand on les compare à leurs
modèles, correspondrait au défaut signalé plus haut. La boîte
vitrée dans laquelle elles sont présentées, avec ses montants en
forme de colonnes, est bien dans le goût néoclassique de la fin du
XVIIIe et du début du XIXe siècle.
Ces maquettes ont pu être acquises à
cette époque par les anciens propriétaires du château de
Saint-Privat, la famille Faret qui y vécut jusqu’en 1865. Une
façon de s’approprier le Pont du Gard voisin...
Réécoutez l'émission Fréquence Musées, avril 2024