Le musée sur Radio Fuze



Retrouvez le musée d'Uzès dans l'émission "Fréquence Musées", tous les mois sur Fuze  !
Et découvrez chaque mois un objet insolite des collections du musée.
Chaque émission est diffusée le premier  lundi du mois, de 9h00 à 9h30, et peut aussi être réécoutée sur ce site. 
Vous pouvez également découvrir l'objet du mois en visite guidée au musée !





 


L’objet du mois d’avril 2023 : Portrait de Catherine Gide par Simon Bussy

A quoi ça ressemble ?
C’est un dessin au pastel, encadré sous verre, représentant une jeune fille aux yeux noirs et aux cheveux clairs, cadrée en buste. Sa tête est penchée, elle se détache sur un fond gris neutre.

Qui l’a fait ?
Le dessin est signé et daté en bas à gauche « Simon Bussy / 41 ». Simon Bussy est un peintre né en 1870 à Dole dans le Jura, décédé en 1954. Formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris (dans la même classe qu’Henri Matisse, qui restera un ami proche), il commence à exposer en 1897. Ses sujets de prédilection sont les portraits, les paysages et les animaux, qu’il représente en peintures et en pastels aux couleurs éclatantes. En 1901, il séjourne à Londres. C’est là qu’il fait la connaissance de Dorothy Strachey, membre d’une éminente famille d’intellectuels britanniques, qu’il épouse en 1903. L’année suivante, le couple s’installe à Roquebrune-Cap Martin (Alpes-Maritimes), où naît leur fille Janie en 1906. En 1918, les Bussy sont de retour en Angleterre, où ils rencontrent l’écrivain André Gide, qui séjourne à Cambridge. C’est le début d’une longue amitié. Gide admire le travail de Simon Bussy, et lui achète de nombreuses œuvres, principalement des pastels représentant des animaux. Quant à Dorothy, elle traduit les textes de Gide en anglais. Lors de ses séjours à Roquebrune, Gide sympathise aussi avec un autre peintre, le belge Jean Vanden Eeckhoudt, ami et voisin des Bussy, si bien que l’écrivain parle d’une véritable « oasis artistique de Roquebrune ».

Qui est-ce que ça représente et de quand ça date ?
C’est le portrait de Catherine, la fille d’André Gide. Celui-ci, bien qu’homosexuel, avait épousé sa cousine Madeleine, mais le couple n’avait pas eu d’enfants. Gide va se constituer une deuxième famille « non officielle » : il est ami du peintre belge Théo Van Rysselberghe et de son épouse Maria, dite « la Petite Dame », qui devient sa confidente. C’est avec leur fille Elisabeth qu’il a un enfant. Née hors mariage en 1923, la petite Catherine est déclarée de père inconnu et élevée par sa mère ; Gide attendra le décès de son épouse en 1938 pour reconnaître officiellement sa paternité. Dès la naissance de Catherine, il est très attaché à l’enfant et veille à son éducation.
Notre portrait a été réalisé dans un contexte bien particulier, pendant la Deuxième Guerre. Gide a quitté Paris pour la zone Sud, non encore occupée par les Allemands. Il est hébergé à Cabris (Alpes-Maritimes), tout près de la maison où vivent Maria Van Rysselberghe et sa fille Elisabeth. Quant à Catherine, qui va avoir 18 ans, elle est à Nice. Après avoir échoué au baccalauréat, elle cherche sa voie dans le théâtre et a la possibilité de partir aux Etats-Unis. André Gide s’inquiète de ce voyage dans des temps si incertains et a l’idée de commander à Bussy un portrait de Catherine, comme le raconte Maria Van Rysselberghe dans ses « Cahiers de la Petite Dame » : le 3 février 1941, Gide vient lui rendre visite. « Il a visiblement quelque chose à dire et comme toujours commence par le détour : « Me trompé-je ou vraiment Catherine est-elle de son mieux en ce moment, tout à fait séduisante, attirante... [...] Ce charme, cet éclat, n’auront sans doute qu’un temps, et puisque son départ se dessine de plus en plus et que sans doute elle nous reviendra changée, pour garder un souvenir de ce moment, il m’est venu l’idée de la faire peindre par Bussy – que vous semble de cette idée ? » Elle ne trouve naturellement de notre part qu’approbation et joie. Il téléphone sur-le-champ chez Bussy et il charge Janie [Bussy]de pressentir son père à ce sujet. »
Le peintre se met au travail la semaine suivante. Gide écrit à Simon Bussy, le 22 février 1941 : « Pierre H. [Pierre Herbart, le compagnon d’Elisabeth] est revenu à Cabris ravi du portrait de Catherine, qui lui paraît, même indépendamment de la ressemblance, une belle, très belle chose. Tous, ici, nous jubilons – et il me tarde bien de le voir. »
Finalement Catherine ne partira pas aux Etats-Unis, pas mais Gide conservera le portrait, transmis à sa fille après son décès en 1951.

Comment est-ce arrivé au musée ?
La famille Gide était originaire d’Uzès, et l’écrivain évoque ses souvenirs d’Uzès dans « Si le Grain ne meurt ». Une salle lui est donc consacrée au musée, enrichie par les dons de documents que Catherine Gide a eu la générosité de faire à plusieurs reprises. Après sa disparition en 2013, le musée a pu acquérir en 2020 auprès de ses descendants un ensemble d’œuvres provenant de la collection de son père André Gide et de l’atelier de son grand-père Théo Van Rysselberghe. Parmi cet ensemble figurait ce beau portrait, qui a toute sa place au musée pour conserver la mémoire de sa bienfaitrice.
L’achat a pu être réalisé grâce à la Ville d’Uzès, au FRAM Occitanie et à l’association des Amis du musée.

 

Sommaire de l'émission

 


L’objet du mois de mars 2023 : Tête de jeune garçon, par Ketzkaroff

A quoi ça ressemble ?
C’est une sculpture en plâtre, représentant une tête de jeune garçon. Elle est recouverte d’une patine de couleur jaune.

Qui est-ce que ça représente ?
C’est le portrait d’un jeune Uzétien, Henri de Parseval. La famille de Parseval est originaire du Perche mais une de ses branches s’est installée à Uzès au 19e siècle. Un Henri de Parseval (1875-1944) fut maire d’Uzès de 1928 à 1930. Le modèle de notre sculpture est son descendant Henri de Parseval, né à Uzès en 1937 et encore adolescent à l’époque de la réalisation de ce portrait. Par la suite, tout en restant attaché à son Uzège natale, il a vécu à Châteauroux, où il est décédé en 2021.

Qui l’a fait et de quand ça date ?
Le buste est signé et daté à l’arrière : « Ketzkaroff 1949 ». Il s’agit de Methody Ketzkarov, artiste bulgare né en 1904 à Sofia. Formé à la sculpture à l’Ecole des Beaux-Arts de Sofia, après des voyages d’étude à Paris en 1937 et en Egypte en 1938-1939, il revient en Bulgarie et devient professeur de dessin.
Après la guerre, la quarantaine venue, il entame une deuxième vie, quittant définitivement la Bulgarie. En 1947, grâce à une bourse du gouvernement français, il s’installe à Paris et commence à explorer de nouveaux moyens d’expression : l’aquarelle et la céramique. Dès 1949, il séjourne à Uzès pendant l’été. Séduit par la cité, il y retourne les étés suivants et s’y installe au début de l’année 1952, dans un atelier minuscule, place de l’Evêché. Même s’il continue à sculpter, il privilégie alors la poterie. En effet ses créations céramiques rencontrent très vite un grand succès qui lui permet de gagner sa vie mieux qu’avec la sculpture.
Si ses sculptures et ses aquarelles des années 1949-1952 portent encore la signature « Ketzkarov » (parfois orthographiée « Ketzkaroff »), très vite il adopte le nom de Keskar, plus aisément prononçable par les Uzétiens. C’est sous ce nom qu’il signe la plupart de ses céramiques.
Après une dizaine d’années à Uzès, Ketzkarov s’installe dans dans le Loiret puis revient dans le Gard à Alès et enfin à Vallon-Pont-d’Arc, en Ardèche, où il décède en 1981.
Réalisé lors du premier séjour de Ketzkarov à Uzès, en 1949, ce buste s’inscrit dans la tradition de la sculpture académique du 19e siècle, telle que l’artiste l’avait apprise aux Beaux-Arts de Sofia. C’est un moulage en plâtre à partir d’une ébauche modelée en terre crue. Les traits du visage sont lisses mais le sculpteur a volontairement laissé apparentes les traces d’outil dans la chevelure. Le portrait semble assez fidèle au modèle ; le cou gracile et les oreilles décollées ont sans doute été accentués pour contraster avec le volume du crâne, mais l’ensemble reste sage, loin des déformations géométriques ou expressionnistes de l’art moderne. En 1947, Ketzkarov avait étudié à l’académie de la Grande Chaumière à Paris, où avaient enseigné Bourdelle et Despiau : il reste dans leur lignée, celle d’un retour au classicisme.
La patine jaune était peut-être destinée à imiter le bronze, sans doute trop coûteux dans le contexte de l’après-guerre encore marqué par le rationnement.

Comment est-ce arrivé au musée ?
L’artiste avait conservé ce buste, il l’a prêté au musée pour une exposition en 1952 (« Noir sur blanc, peintres graveurs parisiens »). En 1978, il l’a donné au musée. Après le décès de Ketzkarov, avec l’aide de sa veuve Marguerite (elle-même peintre), le conservateur Georges Borias lui a rendu hommage en organisant au musée d’Uzès durant l’été 1982 une rétrospective de son œuvre. A cette occasion, Marguerite Ketzkarov a fait don au musée d’un ensemble d’œuvres, dont trois autres bustes de jeunes Uzétiens faits à la même époque, et d’un style semblable.

 

Sommaire de l'émission

 

 


L’objet du mois de février 2023 : buste du vice-amiral de Brueys

A quoi ça ressemble ?
C’est une sculpture en plâtre, représentant une tête d'homme plus grande que nature, avec des cheveux longs coiffés en arrière. La tête est posée sur une base cubique.

Qui est-ce que ça représente ?
C’est le portrait du vice-amiral de Brueys (1753-1798). Né à Uzès, François Paul de Brueys d'Aigaliers entre dans la Marine à 13 ans, en 1766. Devenu lieutenant de vaisseau, il participe à la guerre d'indépendance des Etats-Unis, ce qui lui vaut d'être fait chevalier de l'ordre de Saint-Louis en 1783. Pendant la Révolution, sa carrière se poursuit (malgré une brève destitution de 1793 à 1795) et il est promu contre-amiral en 1796. Lors de la campagne d'Italie, le général Bonaparte le remarque : il est nommé vice-amiral et chargé du commandement de la flotte dans la campagne d'Egypte. C'est là qu'il est attaqué par la flotte anglaise, commandée par l'amiral Nelson. Il trouve la mort le 1er août 1798 lors de la bataille navale de la baie d'Aboukir.

Qui l’a fait et de quand ça date ?
Brueys avait épousé en 1785 à la Martinique Marie Anne Aubin de Bellevue, avec laquelle il avait eu trois enfants. En 1857, longtemps après le décès de son époux, sa veuve décide de lui rendre hommage en faisant ériger à ses frais un monument à Uzès. C’est le sculpteur parisien Francisque Duret (1804-1865) qui en sera l’auteur. Prix de Rome en 1823, Duret est un artiste reconnu, auteur de nombreuses commandes officielles : il a notamment réalisé la sculpture de la fontaine Saint-Michel à Paris. Mme de Brueys lui demande de représenter le vice-amiral « fier et beau comme un enfant du Midi, comme un enfant d’Uzès ! ». Il a en effet fière allure, en uniforme, cheveux au vent, la longue-vue dans une main, l'autre main sur la poignée de son sabre, avec l’inscription « Un amiral français doit mourir sur son banc de quart » rappelant les mots qui lui sont attribués lors de sa mort à Aboukir. La statue en bronze se dresse sur un socle en pierre dessiné par l'architecte Simon-Claude Constant-Dufeux (1801-1871).
Installé sur la promenade des Marronniers, au carrefour de la route de Bagnols-sur-Cèze, le monument est inauguré en grande pompe le 20 octobre 1861, avec une cérémonie suivie d’un bal public et d’un feu d’artifice. Gendarmerie, armée, officiels se succèdent, avec d’autant plus de solennité que le gouvernement de Napoléon III (neveu de Napoléon Ier) tient à rappeler la grandeur des campagnes de Bonaparte... Le seul descendant présent du vice-amiral est son petit-neveu, le baron de Fontarèches : en effet ses deux filles sont mortes jeunes et son fils est décédé en 1857 sans descendance. Quant à Mme de Brueys, elle s’est éteinte en 1859, à 92 ans.
Mais la gloire du vice-amiral ne durera pas longtemps : comme tant d'autres monuments en bronze, la statue est visée par la réquisition des métaux non ferreux lancée en 1941 par le gouvernement de Vichy. En février 1942, elle est envoyée chez un fondeur à Béziers, avec un sursis de quinze jours avant la destruction afin que la commune d'Uzès puisse faire un moulage à ses frais. Sans doute par manque de moyens, seule la tête est moulée. C'est le sculpteur perpignanais Fernand Delfau (1909-1975), installé à Uzès après son mariage en 1936 avec une Uzétienne, qui se charge du moulage. Quant au socle, il reste plusieurs années en place avant d’être démonté.

Comment est-ce arrivé au musée ?
Le moulage ayant été commandé par la commune, a sans doute été livré à l’hôtel de ville et installé à l’étage, où se trouvait alors le musée. Lorsqu’en 1945 le conservateur Georges Borias a rédigé l’inventaire des collections du musée, il y a inclus le moulage, signalant son arrivée en 1943. Il rejoignait un portrait de Brueys peint à la fin du 18e siècle, qui y figurait déjà.
Ce moulage est tout ce qui nous reste du monument, avec une partie du socle, placée en bas de l’escalier qui mène du Portalet à la cathédrale. Pour l'imaginer, il faut donc regarder les nombreuses cartes postales anciennes qui le représentent...



 

 

L’objet du mois de janvier 2023 : photographies du GMR Cévennes à Uzès


Qu’est-ce que c’est ?

C’est un ensemble de 24 photographies en noir et blanc, représentant un bâtiment ancien, avec des vues extérieures et intérieures. Dans la cour devant le bâtiment sont garées des voitures et motos. A l’intérieur sont installés des bureaux, des salles d’instruction, des dortoirs, un réfectoire, des cuisines et des ateliers, ainsi que des magasins de matériel militaire (fusils, uniformes).

Qu’est-ce que ça représente ?
Ces photos ont été prises dans l’ancien évêché d’Uzès. La ville fut le siège d’un évêché du 5
e siècle à la Révolution. Les bâtiments médiévaux du quartier cannonial furent détruits pendant les Guerres de Religion. La cathédrale fut reconstruite de 1642 à 1663, complétée par un véritable palais épiscopal. Construit de 1663 à 1673, l’évêché était organisé sur le modèle des hôtels particuliers parisiens : implanté entre cour et jardin, il possédait une entrée centrale surmontée d’un balcon. L’accès aux étages se faisait par un escalier monumental. Les appartements privés de l’évêque, au premier étage, étaient ornés de magnifiques cheminées en stuc et de plafonds peints. Ils communiquaient directement avec la tribune de la cathédrale.

De quand ça date ?
Après la Révolution et la supression du diocèse d’Uzès, le bâtiment de l’évêché a connu différentes utilisations. Il a servi de prison pendant la Terreur puis on y a installé le Tribunal au rez-de-chaussée. Au 19
e siècle le premier étage a accueilli les bureaux de la sous-préfecture, jusqu’à ce que celle-ci soit supprimée en 1926. Les étages sont restés inoccupés jusqu’à la Deuxième Guerre. C’est alors que le bâtiment accueille un Groupe Mobile de Réserve. Créés par le gouvernement de Vichy en 1941, les GMR sont une sorte de gendarmerie mobile, à la disposition des préfets pour assurer la protection civile et la sécurité publique. Dans les faits, cela consiste surtout à lutter contre les forces de la Résistance. Le GMR Cévennes est affecté à Uzès et installé dans l’ancien évêché en 1942. Il comptera jusqu’à 250 hommes.
Les photographies, prises vers 1942, montrent l’évêché bien mal en point avec sa façade aux fenêtres bouchées ou recoupées. La grande salle du premier étage est cloisonnée et transformée en salle d’instruction, ornée de fresques à la gloire du maréchal Pétain... Le confort est sommaire : dortoirs avec lits en fer, grand lavabo collectif. Les tables à tréteaux du réfectoire sont installées dans les anciens appartements de l’évêque, devant la belle cheminée rescapée du 17
e siècle. Un soldat en faction occupe une guérite devant le portail. Dans la cour se dresse se dresse un mât portant le drapeau tricolore, qui voisine avec les installations sportives prévues pour l’entraînement (agrès, panier de basket-ball). Les anciennes écuries sont transformées en garage pour les voitures.
A la Libération, plusieurs membres des GMR seront condamnés par les commissions d’épuration, et les GMR seront dissous en 1945. Ils sont alors remplacés par les CRS : à Uzès, c’est la 162
e Compagnie Républicaine de Sécurité qui occupera à son tour les locaux de l’évêché jusqu’en 1971. Le bâtiment est alors racheté par la commune d’Uzès qui y installe la bibliothèque municipale et le musée (ouvert en 1978), et construit une salle polyvalente à la place des anciennes écuries. Peu à peu le bâtiment, classé au titre des Monuments Historiques en 1981, retrouve un peu de sa superbe après des années d’abandon...

Comment est-ce arrivé au musée ?
Ces photographies ont été achetées par les Amis du musée à un collectionneur privé en 2010.




L’objet du mois de décembre 2022 : canne d’André Gide


Qu’est-ce que c’est ?
C’est un bâton en bois, avec une extrémité sculptée en forme de tête de chien. Trois inscriptions sont gravées le long de la tige : « Un écureuil avait une rose à la bouche, un âne le traita de fou », « Une abeille sommeille aux bruyères de mon coeur », et « Un rossignol aimait une guêpe, il la mangea d’un baiser ».

De quand ça date et à qui est-ce que ça appartenait ?
Ce bâton appartenait à l’écrivain André Gide (1869-1951). Il lui avait été offert par son ami l’écrivain et poète Francis Jammes, venu le retrouver en voyage en Algérie au printemps 1896. André Gide était alors en voyage de noces avec son épouse Madeleine, entre la Suisse, l’Italie, la Tunisie et l’Algérie. Gide et Jammes ne s’étaient encore jamais rencontrés mais depuis que Jammes avait envoyé à Gide son premier recueil de poèmes, trois ans auparavant, ils échangeaient des lettres, chacun admirant le talent littéraire de l’autre. Jammes s’était enfin décidé à quitter sa ville natale d’Orthez pour voyager en compagnie d’un ami commun, Eugène Rouart (propriétaire terrien et homme politique).

Gide a raconté plus tard sa surprise de voir arriver « ce petit être sémillant, barbu, à la voix claironnante, au regard en vrille », si différent de l’image qu’il s’en était fait. Le périple algérien de Jammes se termine quelques jours plus tard : il se dispute avec Rouart et rentre chez lui... aux frais de Gide ! Les deux auteurs resteront amis et continueront à s’écrire jusqu’à leur brouille en 1910, principalement due à la ferveur de Jammes pour le catholicisme.

A quoi ça sert ?
C’est une canne, avec une tête de chien comme pommeau. Elle rappelle la canne typique du Pays Basque, qu’on appelle « makila » ou « makhila ». Le makila sert à la fois de bâton de marche et d’arme défensive. Traditionnellement, on l’offre à ses proches ou aux personnes que l’on veut honorer. Il est fait en bois de néflier, généralement avec une poignée en cuir et en métal, et peut porter le nom et la devise de son propriétaire.
Notre canne est un peu différente du makila basque, elle n’a pas de poignée en métal... mais Francis Jammes était originaire du Béarn, pas du Pays Basque ! Toutefois le don de la canne a la même valeur honorifique. C’est plutôt une canne de berger, logique pour Gide que Jammes surnommait « le pâtre ». Au lieu des devises classiques, Jammes a gravé de petits poèmes de sa création. Il en avait déjà utilisé certains comme en-tête imprimé sur son papier à lettres. Ces phrases reflètent son amour de la nature, ainsi que la sensibilité mélancolique qui caractérise sa poésie.
André Gide désigne la canne comme une « anguille à tête de chien », et lui prête des origines exotiques (peut-être parce que le père de Jammes était né en Guadeloupe ?) : « Elle est en bois de fer et vient des « Îles » ; elle amuse les enfants d’ici parce qu’une tête de lévrier la termine ; elle est polie comme le jade, et pourtant si grossière qu’on la dirait faite au couteau. Je n’ai jamais rien vu de si bizarre. »

Comment est-ce arrivé au musée ?
La famille paternelle de Gide était originaire d’Uzès. Le musée d’Uzès a donc souhaité constituer un fonds consacré à Gide, et organise régulièrement des expositions sur l’auteur et son œuvre. Catherine Gide, fille de l’écrivain, a toujours soutenu ces manifestations, et a offert de nombreux documents au musée jusqu’à son décès en 2013. La canne, conservée par Gide et transmise à sa fille, fait partie de ces dons : elle a été offerte au musée en 2001.


L’objet du mois de novembre 2022 : chapiteau roman



Qu’est-ce que c’est ?
C’est un bloc de pierre, cylindrique en bas, cubique en haut. Il est sculpté avec divers motifs végétaux : des feuillages dans la partie basse, une grosse fleur en haut, entourée de deux volutes. Une des faces du bloc ne porte pas de décor.

 A quoi ça servait ?
Il s’agit d’un chapiteau, utilisé en architecture au sommet d’une colonne, pour soutenir un plafond ou un entablement. Notre chapiteau dérive manifestement du chapiteau corinthien, créé par les Grecs dans l’Antiquité puis abondamment utilisé par les Romains. Le chapiteau corinthien était orné de deux rangées de feuilles d’acanthes aux formes dentelées, surmontées de quatre volutes (permettant de passer de la forme cylindrique de la base à la forme carrée du sommet), avec un fleuron au milieu de l’abaque (partie droite au sommet du chapiteau).
Le fait qu’une des faces ne porte pas de décor indique que ce chapiteau devait être plaqué contre un mur, en haut d’une colonne adossée.

 D’où ça vient et de quand ça date ?
Ce chapiteau a été découvert par hasard au début du 20e siècle à Uzès, à proximité de l’église Saint-Etienne
. Cette église, qui remontait au Moyen-Age (elle est attestée dès 1156), avait été détruite lors des Guerres de Religion, puis reconstruite au cours du 18e siècle.
On a retrouvé dans ce quartier des stèles funéraires gallo-romaines, ce qui laisse penser qu’une nécropole y avait existé dans l’Antiquité. Mais notre chapiteau ne ressemble pas à un véritable chapiteau antique : les feuilles d’acanthes sont trop épaisses, les volutes pas assez saillantes, l’abaque trop mince, et le fleuron est trop gros et placé trop bas entre les volutes.
Il ressemble plutôt aux chapiteaux que l’on peut voir dans certaines églises romanes de la vallée du Rhône. Victor Lassalle, conservateur honoraire des musées de Nîmes et éminent spécialiste de la sculpture romane, le compare aux chapiteaux du baptistère de Venasque (Vaucluse) et du cloître de l’abbaye Saint-Philibert de Tournus (Saône-et-Loire), et propose de lui donner une datation similaire, c’est-à-dire le milieu du 11e siècle.
On sait que l’église Saint-Etienne d’Uzès existait déjà en 1156, soit un siècle plus tard. Mais on ne sait pas à quoi elle ressemblait, ni à quelle date elle avait été construite... De plus ce n’était pas la seule église à Uzès au Moyen-Age : il y avait aussi la cathédrale (elle aussi détruite et reconstruite à plusieurs reprises), et trois autres églises attestées dès 896. Mais celles-ci ne se trouvaient pas dans le même secteur de la ville. Il faudrait donc supposer que le chapiteau proviendrait bien de l’ancienne église Saint-Etienne, et que celle-ci aurait été construite au milieu du 11e siècle ; mais nous n’avons aucune certitude à ce sujet.
En tous cas c’est un bel exemple de l’influence persistante de l’Antiquité dans la sculpture romane de la vallée du Rhône. La fin du 10e et le début du 11e siècle ont vu la construction (ou la reconstruction) d’un grand nombre d’édifices religieux dans tout l’Occident chrétien. A cette époque, les vestiges d’édifices romains étaient encore bien visibles de Lyon à Arles, et les sculpteurs et bâtisseurs médiévaux ont continué à s’inspirer de leurs formes et de leur décor pour construire des églises. Au passage ils ont déformé ces modèles, accentuant certains détails, en oubliant d’autres, modifiant les proportions : plus qu’une simple copie, c’est la création d’un style original.

Comment est-ce arrivé au musée ?
Ce chapiteau appartenait à un collectionneur uzétien, qui le tenait de sa famille depuis sa découverte. Il a été acheté en 2013 par l’association des Amis du musée, avec l’aide du FRAM (fonds régional d’acquisition pour les musées, co-financé par le ministère de la Culture et par la région Occitanie).





L’objet du mois d’octobre 2022 :
vue de l’église Saint-Etienne


Qu’est-ce que c’est ?
C’est un grand dessin à l’encre sur papier, monté sur un support en carton. Il est rehaussé de couleurs à l’aquarelle. Il représente une façade de bâtiment avec des pilastres ioniques, surmontée d’un fronton cintré. Sur le côté gauche, le bâtiment se rattache à une tour carrée avec un campanile.

Qu’est-ce que ça représente ?

Il s’agit de l’église Saint-Etienne à Uzès. Cette église remontait au Moyen-Age (elle est attestée dès 1156) mais elle avait été détruite lors des Guerres de Religion. Seul le clocher (sur la gauche du dessin) avait été conservé. En 1740, l’évêque d’Uzès décide sa reconstruction, confiée à l’architecte alésien Guillaume Rollin. Mais le projet reste sans suite jusqu’en 1763. Un nouveau plan est alors demandé à Pierre Bondon, architecte avignonnais. Celui-ci conçoit une église à plan en croix grecque, avec une spectaculaire façade incurvée, ornée de pilastres ioniques, sommés de « pots à feu » (vases d’ornement en pierre). Le chantier dure et l’église n’est pas encore terminée quand, en 1769, une partie s’écroule ! Les travaux sont repris par l’architecte Jacques Donnat ; ils ne s’achèvent qu’en 1775.

Qui l’a fait et de quand ça date ?

Ce dessin est signé de « Richard Charles élève de l’école des Frères d’Uzès ». Une école primaire de garçons, dirigée par des religieux, les Frères des Ecoles chrétiennes (parfois malicieusement surnommés « Frères Ignorantins »), existait rue de la Monnaie à Uzès depuis 1749. L’enseignement était gratuit, les enseignants étant rémunérés par la Ville.
A la Révolution, suite à la dissolution de leur congrégation, les Frères quittent Uzès. Lorsque les congrégations sont rétablies, sous le Concordat, la Ville réclame dès 1805 le retour d’une école des Frères. Elle n’ouvre qu’en 1819, toujours dans les mêmes locaux qu’avant la Révolution. Devenu trop vétuste, le bâtiment sera reconstruit à partir de 1862, complété d’une chapelle surmontée d’une statue de la Vierge. Il est actuellement occupé par la médiathèque d’Uzès.

Le dessin porte une dédicace : « Hommage à M. Chabanon (aîné), Maire d’Uzès, 1858 ». Il s’agit de Jean Chabanon, maire d’Uzès de 1853 à 1865. Puisque les enseignants sont rémunérés par la Ville, il est logique que l’école soigne ses relations avec le maire...

Il y a aussi derrière cet hommage une petite rivalité avec l’école concurrente à Uzès, l’école d’Enseignement mutuel. Si les Frères accueillaient les enfants catholiques, les protestants choisissaient plutôt l’Enseignement mutuel. On y suivait entre autres des cours de « dessin linéaire ». En 1854, deux élèves particulièrement doués de l’école d’Enseignement mutuel avaient offert au maire Chabanon un dessin d’après un bas-relief de l’arc de triomphe du Carrousel, commémorant la bataille d’Austerlitz. Choix judicieux, car Chabanon était étiqueté comme bonapartiste ! Quatre ans plus tard, l’école des Frères riposte, avec un sujet significatif : une vue d’une église catholique reconstruite après sa destruction par les protestants lors des Guerres de Religion...
Hélas il faut bien reconnaître la supériorité artistique des élèves protestants sur le catholique : le jeune Richard Charles ne maîtrise pas l’art de la perspective, la façade courbe de l’église est complètement écrasée et les proportions ne sont pas respectées.

Comment est-ce arrivé au musée ?

Ce dessin, ainsi que celui de l’école d’Enseignement mutuel cité plus haut, ont été achetés en 2021 par la Ville d’Uzès à un collectionneur privé uzétien, afin de compléter les collections du musée, dédié à l’histoire d’Uzès.



L’objet du mois de septembre 2022 :
assiette en étain

 

Qu’est-ce que c’est ?

C’est une assiette plate en métal gris, à large bord orné d'un motif de blason gravé.

A quoi ça servait ?

Autrefois la vaisselle pouvait être en différents matériaux plus ou moins coûteux et plus ou moins solides : bois, céramique, métal ou verre. Parmi les métaux, l'étain est couramment utilisé dès le Moyen Age, pour les cruches, pichets et plats, car il ne s'oxyde pas et ne donne pas de mauvais goût aux aliments. Bien astiqué, l'étain brille presque autant que l'argent... mais il coûte beaucoup moins cher ! En 1689, le roi Louis XIV fait fondre toutes ses pièces d'argenterie pour financer ses coûteuses campagnes militaires, et incite les nobles à faire de même. L'étain connaît alors un grand succès car il permet de remplacer la vaisselle d'argent.Cette vaisselle était utilisée pour les repas mais aussi pour la décoration, présentée dans des meubles spécifiques, les vaisseliers. Elle portait souvent les armoiries des propriétaires, rappelant leur rang social élevé.
Notre assiette est ornée d’armoiries (hélas non identifiées à ce jour) : « d’azur au chevron d’or, surmonté d’une étoile d’argent et accompagné de trois gantelets du même », c'est-à-dire un fond bleu avec un chevron jaune, une étoile blanche et trois mains ou gants blancs. Le dessin est en noir et blanc mais un système de hachures et de pointillés permet de symboliser les couleurs de façon codifiée. Le blason est surmonté d'un casque d'armure (un heaume), ce qui peut indiquer un titre de noblesse, identifiable en théorie par la position (de face ou de profil) et le nombre de barres sur la grille de la visière ; mais ici les règles ne semblent pas avoir été respectées et le heaume est fantaisiste, c'est plutôt un élément décoratif, comme les enroulements de feuillages qui encadrent l'écu.

Qui l’a fait et de quand ça date ?

Les objets en étain étaient fabriqués par des artisans spécialisés, les « potiers d'étain » (puisqu'ils fabriquaient des pots, comme les « potiers de terre »). Comme les orfèvres, les potiers d'étains devaient apposer sur leurs ouvrages des poinçons, permettant de garantir la qualité du métal (l'étain commun contenait un peu de plomb, l'étain fin n'en avait presque pas), d'identifier le fabricant et de certifier qu'il était bien membre d'une corporation locale d'artisans. En effet, avant la Révolution, il fallait faire partie d'une corporation pour exercer un métier artisanal : les corporations assuraient l'apprentissage et sa validation, elles servaient aussi de syndicat et de mutuelle pour leurs membres.
Notre assiette porte deux poinçons au revers. L'un est un poinçon de maître, avec les lettres BM dans un cœur surmonté d'une couronne : il permet d'identifier l'artisan, Bertrand Mathieu. N
é vers 1650, celui-ci descend d’une lignée de maîtres potiers d’étain originaire du Dauphiné. Son grand-père Jean I est actif à Nîmes avant 1610 ; son père Jean II exerce à Uzès dans les années 1670 ; son frère aîné Raimond est lui aussi potier d’étain à Bagnols-sur-Cèze. Bertrand Mathieu est actif à Uzès à partir des années 1680. Après sa mort en 1700, son fils Etienne prendra sa suite à Uzès puis à Pont-Saint-Esprit.
Le deuxième poinçon est le poinçon de contrôle d’Uzès (marqué « Uzès /1691 »), que Bertrand Mathieu utilise à partir de 1696 pour l’étain commun. Grâce à ces poinçons, on peut donc dater l'assiette entre 1696 et 1700, date du décès du fabricant.

Comment est-ce arrivé au musée ?

Cet objet a été acheté par l'association des Amis du musée dans une vente publique en 2016, afin d'enrichir les collections du musée. Il permet de compléter l’évocation de la vie à Uzès aux 17e et 18e siècles, aux côtés des portraits, des armoires peintes et des céramiques de cette époque. 
 


L’objet du mois d’août 2022 :
trompe de chasse

Qu’est-ce que c’est ?

C’est un tube en laiton enroulé sur lui-même, terminé par un pavillon évasé.

A quoi ça servait ?

Les profanes l’appellent « cor de chasse » et les veneurs, « trompe de chasse » : cet instrument est utilisé depuis des siècles pour la chasse. Le son effraie les animaux et les fait sortir de leur cachette. De plus, il permet d’informer les chasseurs participants à une plus grande distance que la voix humaine : des sonneries bien identifiables signalent les phases de la traque et la position du gibier. Les trompes sonnent aussi pour les cérémonies et célébrations, et chaque équipage s’enorgueillit d’avoir son air distinctif. A l’origine, on utilisait sans doute une trompe en bois ou en corne d’animal, puis on a fabriqué des trompes en métal. Au 18e siècle, avec la codification de la chasse à courre (divertissement réservé à la noblesse jusqu’à la Révolution), apparaissent des trompes en laiton enroulées sur elles-mêmes. Notre trompe est un modèle « à la Dauphine », à 2 tours ½, en ré. Elle a perdu son embouchure. Les tenons qui maintiennent les enroulements sont droits, ce qui indique une trompe « de piqueux » et non « de maître » (le piqueux est le valet de chasse qui conduit la meute de chiens).
Sans pistons ni coulisse, contrairement aux cors d’harmonie apparus au 19
e siècle dans les orchestres symphoniques, les trompes de chasse ne permettaient pas de grandes subtilités musicales mais étaient des instruments faciles à jouer et peu fragiles.

Qui l’a fait et de quand ça date ?

Il y a une marque poinçonnée sur le pavillon : « Fait à Paris par Carlin / Ordinaire du Roy ». Carlin était fournisseur du roi et du duc d’Orléans, dans les années 1750-1780, « pour tous les instruments de guerre et de chasse », instruments en cuivre ou laiton tels que trompettes, timbales et cors. Sa fabrique se trouvait rue Croix des Petits Champs à Paris. Il fournissait les instruments mais composa aussi des airs de fanfare.

Comment est-ce arrivé au musée ?

On ne sait pas dans quelles circonstances cet objet s’est retrouvé dans les collections. Il fait partie des objets déjà présents en 1945 et inventoriés par Georges Borias lorsqu’il est devenu conservateur du musée. Borias a noté une anecdote indiquée par Henri Bauquier (1873-1952), journaliste et fondateur du musée du Vieux Nîmes : cette trompe aurait appartenu à un personnage originaire du village de Pouzilhac près d’Uzès, et membre de l’équipage de chasse du roi Charles X. Frère de Louis XVI, né en 1757, Charles X était un passionné de chasse, qu’il a sans doute pratiquée dès l’adolescence, bien avant son règne de 1824 à 1830, ce qui expliquerait l’utilisation tardive d’une trompe de la fin du 18e siècle.





L’objet du mois de juillet 2022 :
« Dindiki », d’André Gide

Qu’est-ce que c’est ?

C’est un petit livre d’une trentaine de pages, « Dindiki », par André Gide, illustré de gravures de Desroches et publié en 1927 par les éditions de la Lampe d’Aladin, à Liège.

Qui l’a écrit ?

André Gide (1869-1951) est l’auteur de romans, pièces de théâtre, essais, et d’un journal. Outre son œuvre littéraire, il a également exercé une influence majeure dans les lettres françaises du 20e siècle, en participant à la création en 1911 de la Nouvelle Revue Française (N.R.F.) dans laquelle sont publiés nombre d’écrivains de premier plan.
La famille paternelle d’André Gide était originaire d’Uzès, ce qui explique la présence au musée d’Uzès d’un important fonds consacré à cet écrivain.

Comment est-ce arrivé au musée ?

Cet ouvrage a été acheté en 2006 à un libraire spécialisé par l’association des Amis du musée afin d’enrichir le fonds Gide du musée.

Qu’est-ce que ça raconte ?

Ce texte a été écrit en marge du voyage fait par André Gide au Congo en 1925-1926.
Toute sa vie, Gide a aimé voyagé, il a parcouru l’Europe et le bassin méditerranéen. Son rêve de découvrir l’Afrique se réalise à 56 ans : il se lance dans un long voyage de près d’un an, du Congo belge au Tchad via le Congo français et l’Oubangui-Chari.

Depuis la fin du 19
e siècle, l’Afrique a été entièrement colonisée par les pays européens, et les territoires que traverse Gide sont sous la tutelle de la Belgique et de la France. L’empire colonial est une source de fierté pour la France de l’époque, et peu de gens remettent en cause le bien-fondé de cette politique.
Le voyage de Gide commence donc comme un séjour purement touristique. Il se passionne pour la faune et la flore, admire les paysages, observe avec curiosité les populations locales. Rapidement il constate que ces populations sont maltraitées par les compagnies privées qui exploitent les forêts tropicales (bois, hévéa)… L’administration coloniale est au mieux impuissante, au pire complice. Choqué, Gide décide d’utiliser sa notoriété d’écrivain pour dénoncer ces abus, publiant à son retour
Voyage au Congo et Le Retour du Tchad, qui provoquent une émotion considérable dans l’opinion publique.
Mais à côté de cet engagement, Gide raconte aussi sa rencontre avec un animal : le Pérodictique Potto. C’est un petit primate nocturne, vivant dans les forêts tropicales humides d’Afrique Equatoriale, se nourrissant de fruits. Offert par un chef de village à l’écrivain, il est baptisé du nom de Dindiki. Gide tombe sous le charme de cet animal qu’il compare « à un hérisson à poils doux, ou à un très petit ours, un ours de poche » : une bête affectueuse qui aime se pelotonner autour du cou de son maître. Hélas, arraché à son milieu naturel, Dindiki ne tarde pas à dépérir, et malgré tous les soins de Gide, il meurt à la fin du voyage. Les pages très émouvantes que lui consacre l’écrivain, extraites du
Voyage au Congo, sont reprises dans ce petit livre, probablement publié à l’initiative de l’éditeur et bibliophile liégeois Pierre Aelberts (1899-1983), fondateur en 1926 des éditions de la Lampe d’Aladin, spécialisées dans les petits ouvrages précieux à tirage limité.

Qui l’a illustré ?

Le livre est orné de culs-de-lampe et d’une vignette en couleurs, signés par Desroches. Il pourrait s’agir de Francisque Joannès Desroches (1886-1976), dessinateur et graveur lyonnais, formé à l’école des Beaux-Arts de Lyon, où il enseigna ensuite de 1913 à 1948. Le choix d’un graveur lyonnais est logique car si l’éditeur est belge, l’imprimeur est lyonnais, comme l’indique la mention à la fin du livre : « achevé d’imprimer par Audin de Lyon ». Marius Audin (1872-1951), imprimeur et éditeur, a fréquemment collaboré avec des artistes locaux, notamment les membres de la Société du bois gravé lyonnais, faisant renaître une tradition héritée de la Renaissance.
 

L’objet du mois de juin 2022 : deux pots de pharmacie


  

Qu’est-ce que c’est ?
Ce sont deux pots en faïence blanche. L’un a une forme de cylindre sur pied, l’autre ressemble à une cruche avec une anse et un bec verseur. Ils portent un décor très simple : des cartouches bleus avec des inscriptions mystérieuses, « U. Neapolit » et « M. Rosat ».

A quoi ça servait ?
Ces deux pots ont les formes caractéristiques des pots à pharmacie d’autrefois : un « pot canon » (cylindrique) pour les onguents et pommades, et une « chevrette » (cruche) pour les remèdes à consistance liquide, sirops et potions. Ils étaient pourvus de couvercles, mais la chevrette a perdu le sien. Les inscriptions en abrégé correspondent au nom latin du remède contenu dans le pot. Pour le pot canon, « U. Neapolit » est l’onguent de Naples ; destiné à soigner la syphillis ou « mal de Naples », cet onguent avait une forte teneur en mercure. Pour la chevrette, « M. Rosat » est le miel rosat, un miel dans lequel on a fait infuser des pétales de rose, utilisé contre les maux de gorge.

D’où ça vient ?
Ces pots proviennent de l’Hôpital d’Uzès. L’hôpital existait sans doute dès le 13e siècle. Au Moyen-Age, les « Hôtels-Dieu » étaient des institutions religieuses : lieux d’accueil et de charité, plus que de soins médicaux, destinés aux pauvres, aux mendiants errants, aux pélerins. Il n’y avait alors ni médecin ni pharmacien sur place. Pour cela il faudra attendre le 18e siècle : en 1746, l’évêque d’Uzès, Monseigneur Bauÿn, décide de reconstruire l’hôpital, trop petit et vétuste. Une salle au rez-de-chaussée est alors prévue pour la pharmacie, confiée à la responsabilité d’une religieuse. Son mobilier n’a pas été conservé mais il y avait sans doute, comme dans d’autres hôpitaux de la région (par exemple à Avignon, dans l’ancien hôpital Sainte-Marthe, devenu l’Université), des rayonnages en bois couvrant les murs, garnis de pots en faïence et de boîtes ou de tiroirs pour les plantes sèches. Seuls ces deux pots ont été conservés.

 Comment est-ce arrivé au musée ?
Le conservateur Georges Borias a obtenu en 1949 le dépôt par l’hôpital de ces objets au musée.

Qui l’a fait et de quand ça date ?
La forme de ces pots est apparue dès la Renaissance ; à partir du 17e siècle ils sont dotés d’un pied. La sobriété des formes et la typographie des inscriptions de nos pots suggèrent plutôt une datation du 18e siècle, très certainement suite à l’agrandissement de l’hôpital en 1746-49.
Si la céramique est une activité ancienne en Uzège, ce type de faïence n’était pas produit sur place. Les potiers de l’Uzège faisaient de la terre vernissée, avec une glaçure à base de plomb, de couleur jaune ou verte, laissant voir en transparence la teinte beige-rose de la terre cuite. La faïence, elle, utilise une glaçure d’un blanc opaque, à base d’étain. A l’origine, c’était une tentative d’imiter la blancheur de la porcelaine chinoise. Sur le fond blanc, les décors sont obtenus par des oxydes métalliques, les plus courants donnant des teintes bleues (cobalt) et brun violacé (manganèse).

Montpellier (siège d’une prestigieuse université de médecine) était un centre réputé de production de faïence aux 17e et 18e siècles, produisant de somptueux pots de pharmacie à décor de fleurs, de feuillages et de mascarons, mais il y avait aussi des fabricants à Nîmes. Quelle que soit la provenance, l’hôpital d’Uzès avait choisi des modèles très simples, portant seulement le nom du remède dans un cartouche bleu à bords enroulés. Choix sans doute révélateur d’un souci d’économie... le plus important restait le contenu, pas le contenant !




L'objet du mois de mai 2022 : une noix de coco gravée



 

Qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit d’une moitié de noix de coco, cerclée de métal avec un anneau. Elle porte un décor gravé : sur un podium portant les initiales AA, sont posés deux cœurs enflammés. De chaque côté du podium, des armes (arc, flèches, lance, bouclier) et des branches d’olivier. Au-dessus, une couronne de feuillages est suspendue. Tout le fond est travaillé en hachures.

Une extrémité est sculptée en forme de tête d’animal ressemblant vaguement à un lion, avec des yeux en verre.

 

Comment est-ce arrivé au musée ?

Cet objet provient du château de la Tour à Saint-Chaptes, il a été donné par le marquis de Lordat en 1961 avec plusieurs autres objets faisant partie autrefois d’un cabinet de curiosités, probablement constitué par les anciens propriétaires du château entre 1764 et 1835, la famille Chabaud-Latour. Les cabinets de curiosités sont les ancêtres des musées. Ils apparaissent en Europe à partir de la Renaissance, ce sont des ensembles d’objets rassemblés par de  riches collectionneurs privés, réunissant curiosités naturelles (minéralogie, animaux empaillés, coquillages) et artificielles (archéologie, œuvres d’art, objets exotiques), mélangées dans une présentation plus baroque que scientifique...

 

A quoi ça servait ?

C’est ce qu’on appelle une tasse de chasse : un petit gobelet que les chasseurs transportaient sur eux, attaché par l’anneau, pour pouvoir se désaltérer pendant une partie de chasse. Ce genre d’objet existait aussi en argent, avec la même forme ovale. Jusqu’à la Révolution, la chasse était réservée aux nobles, qui utilisaient donc des accessoires luxueux dans des matières comme l’argent. Mais la noix de coco aussi était considérée autrefois comme un matériau précieux, exotique donc rare et original.

 

Que signifie le décor ?

Il représente l’autel de l’Amour, sur lequel les cœurs des amants sont sacrifiés, et qui rend inutiles les armes (les branches d’olivier symbolisent la paix).

Les tasses de chasse portent souvent des décors évoquant l’amour, ou des scènes de chasse.

La tête d’animal est une utilisation astucieuse de la forme naturelle de la noix de coco, qui comporte trois trous au sommet. Si on la coupe en deux, il reste deux trous que l’on peut facilement transformer en yeux avec des perles de verre.

 

De quand ça date ?

Cet objet a probablement été fabriqué à la fin du 18e ou au début du 19e siècle, son décor est de style néo-classique, à la mode de l’époque de Louis XVI à la Restauration (années 1820-30).

 

Qui l’a fabriqué ?

Chez les antiquaires ce genre d’objet est souvent désigné comme « travail de bagnard ».

Le système du bagne remonte au 17e siècle. Au départ, sous Louis XIV, les condamnés (criminels ou simples victimes de persécutions religieuses), sont envoyés aux galères dans l’arsenal de Marseille. Ils rament pour faire avancer les galères de la Marine royale, mais sont aussi employés dans la construction de navires. A partir de 1748, les galères sont supprimées et les prisonniers envoyés dans des bagnes, à Toulon, Brest, Rochefort, toujours employés dans la construction navale mais aussi dans divers travaux de force. A partir de 1851, les bagnes sont déplacés le plus loin possible de la métropole, dans des colonies comme la Guyane et la Nouvelle-Calédonie.

Pendant leurs moments de repos, les bagnards s’occupaient en fabriquant divers objets d’artisanat qu’ils pouvaient vendre pour gagner un peu d’argent. En Guyane, ils furent nombreux à graver des noix de coco, qu’on appela par dérision des « œufs de bagnard » !

Mais notre objet est plus ancien, il n’a sans doute pas été fabriqué dans un bagne de Guyane.

Il pourrait s’agir d’un travail de marin : les traversées étaient longues au temps de la marine à voile, et il était facile de rapporter de ses voyages une noix de coco qu’on gravait au canif pendant le voyage de retour. Le thème de l’autel de l’Amour laisse imaginer un marin qui voulait offrir cet objet à l’élue de son cœur…

 

Sommaire de l'émission

 



L’objet du mois d'avril 2022 : la tasse du baron de Castille


A quoi ça ressemble ?

C’est une tasse de forme cylindrique, avec une sous-tasse assortie, en porcelaine blanche à décor noir et or. Sur la tasse est représenté un petit château au fond d'une cour fermée par une rangée de colonnes. La sous-tasse porte un blason et les initiales C et R.

A qui est-ce que ça appartenait ?

Comme l'indiquent les inscriptions sur la sous-tasse, au baron de Castille. Gabriel-Joseph de Froment, né en 1747 à Uzès, hérite en 1773 de la baronnie de Castille (comprenant le château d'Argilliers, près d'Uzès). A partir de 1788, il commence des travaux de transformation du château et de son parc. Après les troubles de la Révolution, les travaux reprennent ; ils ne cesseront qu'en 1815. Inspiré par un voyage en Italie, le baron dresse une imposante colonnade incurvée (comme celle de Saint-Pierre de Rome), et érige de petits pavillons (des « fabriques ») dans le parc. Son goût pour les colonnes est tel qu'on le surnomme le « baron Colonnes ». Après le décès de sa première épouse en 1794, il épouse en 1809 la princesse Herminie de Rohan, avec laquelle il aura six enfants. Il est très fier de cette union avec la haute noblesse et fait apposer partout les initiales « CR » pour « Castille Rohan ».

Qui l’a fabriqué ?
Sous la tasse il y a une marque de fabrique imprimée en rouge : « NAST / à Paris ». Il s'agit d'une manufacture de porcelaine créée à Paris par un Autrichien, Jean Népomucène Hermann Nast. Il reprend d'abord une manufacture rue Popincourt, et le succès est tel qu'il s'installe en 1806 dans des locaux plus grands, rue des Amandiers-Popincourt (actuelle rue du Chemin Vert, dans le 11e
arrondissement). Après son décès en 1817, ses deux fils lui succèdent jusqu'en 1835. Nast a produit une porcelaine réputée pour sa blancheur, souvent rehaussée de riches dorures, pour une clientèle fortunée (le président des Etats-Unis James Madison lui a même commandé un service pour la Maison Blanche en 1814).

De quand ça date ?

Pendant longtemps, les Européens ont importé à prix d'or les porcelaines de Chine et du Japon, et tenté sans succès de les imiter. Avec la découverte en Limousin d'un gisement de kaolin, matériau de base de la porcelaine, les premières manufactures françaises apparaissent au 18e siècle dans différentes villes ; mais jusqu'en 1784, la manufacture royale de Sèvres est la seule à jouir du privilège d'utiliser l'or pour ses décors. Notre tasse à dorures date du début du 19e siècle. Sa forme de cylindre aussi haut que large est appelée « litron » : elle est utilisée pour le café à partir des années 1720. Lorsque le café était trop chaud, on le buvait parfois en le versant dans la sous-tasse pour le refroidir !

Le décor permet de préciser la datation : de chaque côté du château de Castille sont représentés un obélisque et une colonne portant une urne funéraire. Les deux monuments se trouvaient à l'origine dans le parc du château ; ils ont été déplacés dans les années 1930 à Nointel (Val d'Oise). Tous deux portent des inscriptions avec la date de 1809. C'est une année particulière pour le baron : il perd son fils Edouard, tombé au combat à 19 ans, et il se marie avec sa deuxième épouse Herminie de Rohan. La colonne funéraire commémore le fils disparu (« A la mémoire d’Edouard, baron de Castille, tué à la bataille d’Essling le 22 may 1809 »), et l’obélisque le mariage (« Castille Rohan 1809 »). Il est probable que la tasse faisait partie d'un service commandé à l'occasion de ce mariage.
En tous cas, elle n'a pu être fabriquée après 1814 car les armoiries sur la sous-tasse sont celles décernées au baron par Napoléon Ier.

Comment est-ce arrivé au musée ?

Cette tasse a été donnée en 2017 par Henry de Seguins-Cohorn, descendant du baron de Castille, qui a eu à cœur de faire connaître son ancêtre par des conférences et des publications. Mais il n’a pas eu la chance de vivre au château de Castille : après la mort du baron en 1826, le château a été habité par ses descendants pendant une centaine d'années, avant d'être vendu en 1924. Il a connu des vicissitudes : une partie de la colonnade s’est écroulée lors du tremblement de terre de 1909, certaines des fabriques ont disparu... Divers propriétaires s’y sont succédé, dont l'extravagant critique d’art Douglas Cooper, qui y installa un temps sa collection de chefs-d’œuvre du Cubisme, et y reçut Picasso (celui-ci a même fourni le dessin pour un décor mural à l’extérieur du château). Le château est de nouveau à vendre : avis aux amateurs !


L’objet du mois de mars 2022 : « Jamais sans sa redingote », de Mireille Laborie






L’objet du mois de février 2022 :
médaille du Concours agricole d’Uzès